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Dans cette rubrique, je vous présente les lectures que je fais pour approfondir certains sujets. Ces thèmes me tiennent à coeur et je ressens un besoin de m’informer plus spécifiquement.

Dans ce premier article, je vous parle de ma lecture du livre de Natacha Butzbach, créatrice du blog Curiosité Bienveillante : Pourquoi les bébés dorment-ils dans des lits à barreaux ?

Yanick, doula

Un historique riche des pratiques de parentage

Natacha Butzbach a réalisé la prouesse de faire un gros travail d’Histoire dans un ouvrage très agréable à lire. Elle a parcouru pour chaque âge de l’humanité de nombreuses ressources historiques des pratiques de parentage de l’époque. Ce travail documentaire de qualité met en lumière les évolutions des conseils et doctrines sur l’allaitement, le portage et le sommeil des enfants. Elle commence son ouvrage par questionner ce qui, dans l’Histoire, nous a éloigné de nos intuitions de parents et de la proximité de nos enfants. En effet, aujourd’hui, on n’envisage parfois même pas de faire dormir nos bébés ailleurs que dans des lits à barreaux !

Quelques questionnements avant de débuter…

Avant la lecture de cet ouvrage, je me suis posée plusieurs questions. Comment des parents ne pratiquant pas le parentage proximal (par choix ou par méconnaissance par exemple) pourraient vivre la lecture de ce livre ? J’avais peur que cet ouvrage soit une nouvelle injonction pour les parents à pratiquer le parentage proximal. Les jeunes parents reçoivent assez d’injonctions à mes yeux. Inutile de leur en rajouter, aussi bienveillante soit-elle. De tels ouvrages plongent parfois les parents dans la culpabilité quand ils “découvrent” ce qu’ils ont “mal fait” avec leur enfant.

Mais Natacha Butzbach explique dans son ouvrage que si elle critique une chose, c’est bien la société. Celle-ci empêche les parents de faire leurs choix en conscience :

  • En ne rémunérant pas suffisamment les parents qui auraient envie de s’occuper de leurs enfants dans leurs premières années de vie – contrairement aux pays nordiques
  • Trop peu de lieux publics sont “child-friendly” et laissent les parents venir accompagnés de leurs enfants
  • Sans parler des montagnes que doivent soulever des mères souhaitant allaiter et reprendre le travail

Une seconde question qui m’est venue assez vite a été d’imaginer ce que l’on peut observer a posteriori de l’Histoire ? Comment s’assurer que les écrits sur lesquels on s’appuie représentent ce que vivaient les gens à l’époque. Comment éviter de voir une époque donnée avec un effet de loupe déformante ? Encore plus quand on sait que c’est assez récent dans l’histoire de l’humanité que tout un chacun a la possibilité d’écrire ce qui lui tient à coeur et le partager aisément… A cette seconde question, j’imagine que le biais est limité par le fait que l’autrice s’appuie sur plusieurs sources distinctes. Ces sources sont parfois en accord, parfois en désaccord. Cela est d’autant plus intéressant qu’aujourd’hui encore, les jeunes parents reçoivent souvent des conseils contradictoires… Alors, si on s’autorisait à se faire confiance ?

Des évolutions parfois surprenantes

J’ai été complètement bluffée de découvrir que la sédentarisation avait eu un impact extrêmement fort sur les pratiques de maternage humaines. En effet, la sédentarisation a exigé des femmes qu’elles consacrent plus de temps à s’occuper des foyers et des ressources. Elles avaient alors moins de temps proches de leur enfant : l’autrice parle de parentage distal. L’allaitement étant moins fréquent, elles avaient un retour de couche plus précoce. Étant fertiles plus rapidement, elles avaient souvent un nouvel enfant plus rapidement… Donc moins de temps à offrir à chaque enfant, etc.

Natacha Butzbach raconte comment les pratiques de parentage ont évolué au fil des siècles. Si on prend l’exemple de la durée de l’allaitement, on préconisait 6 mois d’allaitement maximum durant l’Antiquité, mais jusqu’au 3ème Carême de l’enfant au Moyen-Âge (se rapprochant ainsi plus des allaitements non écourtés de la Préhistoire)… Avant de passer à des périodes où les mères de l’aristocratie ne nourrissaient plus leurs enfants quasiment dès leur naissance pour retourner à leurs fonctions au plus vite.

Vous pourrez aussi découvrir comment certaines époques exigeaient une abstinence sexuelle durant la durée de l’allaitement, ou le partage du sommeil dans un même lit (quand cela n’allait pas jusqu’à la position dans laquelle dormir…) avant la mise en avant de l’importance du lit conjugal réservé au couple. Et de là est arrivé le berceau pour bébé ! De nombreuses doctrines ont été édictées tantôt par les médecins, les philosophes, l’Église, les politiques voire les maris pour l’autorisation d’allaiter… (souvent des hommes… hmmm… bienvenue en patriarcat !) Paraît-il que les émotions de la mère et la pollution parisienne pouvaient rendre le lait mauvais pour bébé. Il fallait donc l’envoyer en nourrice à la campagne : idéal pour l’attachement aux figures parentales. Autres temps autres moeurs…

“Il faut tout un village pour élever un enfant“. Le modèle de la famille nucléaire (2 parents et les enfants) n’a disparu finalement que récemment à l’échelle de l’humanité. Jusqu’au 20ème siècle, les familles cohabitaient avec les aïeux, qui pouvaient donc apporter du soutien logistique précieux aux jeunes parents. Quelque chose qui manque parfois cruellement aujourd’hui…

Croyances versus connaissance

Certaines croyances bien ancrées viennent donc de traditions anciennes. On ne compte par exemple plus les différentes facettes du mythe de l’enfant gâté. S’il reste trop attaché à sa mère, il risque de ne jamais savoir vivre en autonomie.

Sauf que demander à un parent de laisser pleurer, dormir seul ou manger à horaire fixes à son enfant peut lui sembler d’une grande violence à l’encontre de son instinct de parent. Cela peut aussi miner sa confiance en lui.

D’ailleurs, depuis le 20ème siècle et l’abondance de livres de puériculture et d’éducation dont on dispose, on aurait pu se dire que ça y est : finies les croyances qui ne reposent sur rien et place à la connaissance pour les parents ? Que nenni ! Les informations que l’on trouve dans certains livres s’inspirent d’expériences en collectivité où le personnel trop peu nombreux gérait comme il pouvait les besoins de nombreux enfants (notamment en planifiant repas, changes, temps d’activités). On est loin du modèle de parentalité proximale où le parent peut prendre soin de son enfant à son rythme, en respectant les besoins de son tout-petit.

Je mettrais malgré tout un petit bémol à ce point, car il existe des ouvrages de parentalité positive qui sous couvert d’études scientifiques et de nombreuses références peuvent malgré tout faire culpabiliser les parents de ne pas assez bien accompagner leur enfant (je vous en parlerai sûrement le jour où je présenterai l’éducation vraiment positive de Béatrice Kammerer !)

Sortir d’un rapport parent enfant de type dominant-dominé

Une chose que j’ai aimée à la lecture de ce livre, c’est le fait de mettre des mots sur les efforts que demandent aux parents de tendre vers une relation apaisée avec leurs enfants. En effet, on est aujourd’hui conditionné dans une relation où le parent doit maîtriser son enfant en toutes circonstances. Ce rapport d’autorité est la norme que l’on peut voir autour de nous, dans les films/séries ou lectures. Pratiquer l’éducation proximale demande un effort de déconstruction pour d’abord imaginer d’autres manières de faire. Ensuite, on peut vouloir (ou non) oser faire différemment de ce qu’on a vécu et de ce qu’on voit autour de soi.

Natacha Butzbach met en lumière le fait que la société nous indique bien comment vivre sans nos enfants (productivité coûte que coûte bonjour !) mais offre trop peu de manières d’inclure nos enfants sans les voir comme une entrave à nos activités. Les lieux pour adultes, mais adaptés à l’accueil des enfants (child-friendly) sont effectivement bien rares. Il semble impossible à beaucoup d’emmener avec soi ses enfants au travail, ou dans des établissements ouverts au public. Cela a tendance à renforcer l’isolement des jeunes parents. Et si cela pouvait être différent ? Donner leur place aux enfants dans nos vies d’adultes permettrait sûrement d’apaiser les relations parents-enfants, mais pas que !

Si on avait plus d’occasions d’observer différentes pratiques de parentage (proximal ou non), cela permettrait aux parents de prendre ce qui leur plaît dans chaque pratique. Faire des choix éclairés en tant que parents demande en effet d’avoir conscience que des choix existent.

En tant que doula, il me tient en tout cas à coeur d’offrir ce type d’espaces à de jeunes parents dans des cercles parents-enfants. Que chacun puisse se sentir accueilli, moins isolé dans ses propres galères et découvrir parfois des solutions auxquelles ils n’avaient pas pensé !

Pour conclure…

Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup apprécié l’approche de ce livre qui permet d’imaginer des possibles et de comprendre d’où viennent certains de nos automatismes culturels. Il se lit très vite, ce qui est un plus indéniable lorsqu’on est un futur ou jeune parent ! Il rejoint ma bibliothèque de doula auprès de plein d’autres ouvrages.